Les 1000 premiers jours :

une fenêtre d’opportunité pour tous

Co-rédigé Pauline Agator, Soline Amir-Tahmasseb et Marion Charpentier

  Nombreux sont les parents, éducateurs, scientifiques et commentateurs à se demander si mettre un enfant au monde est encore raisonnable, si cela ne relève pas d’un égoïsme inconsidéré. L’humanité se confronte, en ce début du XXIème siècle, aux prémices de défis sans précédent. Dérèglement climatique, accroissement des tensions culturelles, géopolitiques et démographiques, crises des ressources naturelles, alimentaires, énergétiques et technologiques… le menu nous paraît avarié. Comment le servir sans scrupule à ces petits êtres qui nous rendent visite ? Des individus qui ont produit notre présent précaire peuvent-ils enseigner quoi que ce soit de pérenne à leurs enfants ? C’est une question forte et épineuse que de se demander si les enfants d’aujourd’hui peuvent encore changer le monde ! Chaque jour, ébahis par l’univers extraordinaire des 1000 premiers jours des petits humains, nous répondons « Oui ! Ils nous en donnent l’opportunité » ! Le monde, c’est nous, redécouvrons-le à leurs côtés pour leur donner le pouvoir d’agir.

Les 1000 premiers jours des adultes

  Lorsqu’on cuisine un plat qui s’avère immangeable, on ne le refait pas. On change de recette, voire de cuisinier…Il en irait de même pour notre conception du monde, pourtant, changer nos habitudes, nos manières de penser et les structures de vie qui les ont engendrées est bien plus complexe qu’un repas. Tout paraît bloqué, c’est presque impossible. Sauf…Quand la Nature nous aide !

Périodes sensibles : un trio pour changer son monde

  Parmi les prodiges de l’adaptation des animaux à leur environnement, la plasticité cérébrale fait grand bruit. Celle-ci nous permet d’adopter de nouveaux comportements, de percevoir et penser autrement, en adéquation avec notre milieu de vie. Toute expérience nous fait ainsi évoluer. Nous en apprenons davantage chaque jour sur le développement du cerveau et son évolution au cours de la vie.

  Les 1000 premiers jours, ce concept scientifique désignant la période allant du 4ème mois de grossesse aux deux ans de l’enfant, représentent la « période sensible » d’adaptation primordiale de l’être humain au monde. Des milliards de connexions neuronales se créent en étroite conversation avec l’ensemble du corps et ses expériences. Au cours de cette période, où l’environnement social et matériel façonne le monde intérieur du tout-petit, on trouve des fenêtres d’exposition dites « critiques » pour l’acquisition de comportements et le développement de fonctions essentielles telles que le langage. Mais ce n’est pas la seule période sensible ! À la puberté, avec le bouleversement hormonal, le modelage cérébral s’accroît à nouveau massivement, coïncidant avec un changement notable de comportement et de perception du monde.

  Qu’en est-il après ? Il est dit que l’arrivée d’un enfant réoriente les priorités et fait entrevoir de nouvelles réalités. On a de ce fait beaucoup parlé du « mommy brain », cet esprit embrumé des mamans, obnubilées par leur nourrisson. Loin de ce raccourci péjoratif, les montagnes russes hormonales induites par la grossesse et la naissance coïncident avec une troisième période de grande sensibilité neuronale. Les données d’imagerie cérébrale attestent d’une restructuration subcorticale et corticale flagrante. Les régions du cerveau concernées correspondent à la manifestation de l’empathie, de l’attention et de la planification. Idem, le « dad-brain » existe bel et bien ! Le cortex des pères évolue à l’arrivée de leur 1er enfant, et plus ils s’en occupent plus ils changent : une attention à l’autre décuplée, plus de planification…Idéal pour l’accueil d’un être aussi dépendant. La recherche fait également état d’une activité cérébrale spécifique aux mamies…À suivre !

 

La flexibilité mentale : tout le monde s’y colle

  L’ocytocine, cette puissante hormone de l’attachement inondant les parents à la naissance jouerait un grand rôle dans cette transformation anatomique et comportementale, s’ajoutant à la plasticité cérébrale induite par l’expérience dont nous faisons preuve toute notre vie. L’arrivée d’un enfant et son nuage d’émotions est donc une opportunité pour changer de “logiciel”, en redécouvrant et questionnant avec lui l’environnement naturel et social dans lequel nous évoluons. Les bons sentiments changent-ils le monde ? 

  Le petit n’éprouve pas de difficulté à adopter une vision du monde et de “bonnes” habitudes. Il intègre naturellement les codes de l’environnement qu’on lui présente avec l’expérimentation et le mimétisme. Les “petits gestes” écologiques par exemple ne demandent un « effort » qu’aux adultes qui doivent réapprendre à vivre autrement ! Pour bébé, ce nouveau mode d’être et d’agir est “normal”. Ce dont il s’agit, ce sont ses modèles adultes ! Opérer les changements drastiques nécessaires à la soutenabilité du monde qu’ils habiteront n’est pas sans peine. L’éco-anxiété chez les jeunes parents en témoigne. En réponse à notre question : dans la mesure du possible, ne transmettons pas d’anxiété, quel que soit le contexte. Jouons à changer, inventer, solutionner, à notre échelle, et pas à pas, dans la joie et les bons sentiments ! Nul n’est omnipotent mais naît avec le potentiel de développer de précieuses fonctions. Ce que l’on peut faire : outiller les enfants pour qu’ils puissent faire collectivement face aux défis qui les attendent. 

 La flexibilité mentale, une des trois fonctions dites “exécutives” de l’esprit, joue un rôle déterminant dans l’adaptation aux situations nouvelles, la résolution de problèmes et la négociation avec autrui. Autant dire que nos enfants en auront besoin : corrélée au développement du cortex préfrontal, elle s’entraîne dès le plus jeune âge !

Clé pour agir : L’arrivée de l’enfant demande elle-même une flexibilité ! En s’adaptant à son enfant et à son rythme, en l’observant et en l’assistant, le parent réapprend. Encourager l’autonomie de l’enfant est le point de départ du développement de cette fonction. Mettre son gilet en autonomie, se laver les mains ou ouvrir seul un yaourt, permet à l’enfant de se concentrer sur un objectif, de mettre en place des stratégies pour y parvenir et de les corriger si besoin. Donner des petits défis, encourager et féliciter chaleureusement l’enfant consolide les circuits cérébraux mobilisés pour ces actions, et donne l’envie comme la facilité de recommencer ! 

Armons-les de fleurs et de curiosité

  Préparer les enfants à changer le monde, c’est donc les aider à développer des compétences essentielles, mais aussi une conception viable du monde et de la relation aux êtres vivants. Parmi les grands défis du XXIème siècle, où la pérennisation de la vie sur Terre est en jeu, on peut en identifier deux grands axes dont tous les autres découlent : la préservation du vivant et des écosystèmes, et la coopération.

Redécouvrons la Nature !

  C’est quoi, la Nature ? C’est une abstraction, tant qu’on n’y met pas les pieds ! En réalité, c’est une gigantesque imbrication de mondes petits et grands, une coopération de plantes, animaux, insectes, microbes, mycélium, molécules, atomes, qui composent des écosystèmes dont nous dépendons tous. Les enfants, naissant avec un certain nombre de programmations biologiques très anciennes, se développent mieux dans un environnement “naturel”. Et pour cause, les espèces vivantes stimulent leur coévolution depuis des millions d’années ! La diversité des manifestations, variations, et expériences sensorielles est plus riche dans un milieu semi-préservé que dans un milieu urbain dans lesquels vit à présent plus d’un humain sur deux. Cette richesse favorise le développement global du tout-petit et fournit la base de sa représentation de soi et de sa relation au monde. 

Clé pour agir : Trouver un coin de verdure n’est pas aisé en ville. Pour autant, les plantes et arbres qui y reviennent de nos jours et le grand air sont autant d’éléments stimulants. Profiter du pointage du doigt du bébé, de cette triangulation symbolique bébé-objet-adulte, dès 10 mois, pour lui montrer et lui décrire avec un vocabulaire précis et diversifié ce qu’il observe. Cela l’aide à construire un imagier diversifié et développe son langage. C’est donc aussi pour l’adulte l’occasion de réveiller son émerveillement. De nombreux jardins botaniques ou arboretums existent et sont une mine d’or sensorielle pour tous. 

  Une cause estimée de la dégradation de l’environnement et d’une érosion sans précédent de la biodiversité est l’absence de conscience écosystémique des sociétés modernes. Nous n’expérimentons pas au quotidien l’interdépendance des êtres vivants et éléments permettant la vie sur Terre. On ne peut conceptualiser correctement que ce que l’on fréquente avec ses 5 sens, et en 3D ! Or, la compréhension du vivant et des écosystèmes est une clé d’avenir. Permettre aux enfants d’intégrer ces réalités comme des évidences, pour en comprendre la valeur et l’utilité systémique, est primordial. Observer, manipuler, sentir, s’émerveiller, échanger avec d’autres espèces et à leur propos, sont autant de composants primaires d’une préservation de la biodiversité et d’une production alimentaire variée et durable !

Clé pour agir : Si sortir en forêt, courir et dormir dehors au cours de vacances ou de week-ends est fantastique mais pas automatique, faire entrer la Nature à l’intérieur compte aussi! Une diversité de plantes, de fleurs, un mini-potager et des éléments minéraux à manipuler sont plus pertinents pour le bébé que des jouets en plastique calibrés et inertes. Ainsi, les activités de transvasement d’objets se complexifiant progressivement peuvent se faire en nature, en fonction des saisons : graviers, châtaignes, fleurs, coquillages, pommes de pin, etc. Pour l’appréhension des lois physiques, faire flotter des feuilles, couler des cailloux, soupeser et manipuler des bâtons, trier sable et galets, est riche d’enseignements : gravité, poids, équilibres, interactions chimiques. Soupe de pétales aux croûtons de bois : rien ne se perd, tout se transforme, et ça sent bon ! 

CPS : Accompagnons-les…! Les Compétences Psycho-Sociales font parler d’elles ! L’appellation est née du constat scientifique qu’on ne peut dissocier les compétences cognitives et socio-affectives dans le fonctionnement de l’esprit humain. Appelées “compétences du XXIème siècle” par les instances internationales, celles-ci seront au cœur du réacteur. Du bien-être physique et psychique aux plus hautes négociations diplomatiques, l’expression des besoins et points de vue, ainsi que la reconnaissance de ceux d’autrui seront fondamentales pour l’entraide et le maintien de la paix.

Clé pour agir : Accompagner l’enfant dans l’identification de ses émotions en les nommant et en décrivant les siennes, l’aide à construire une image positive de lui et de sa relation à l’autre, comprendre l’impact de ses actions sur autrui, et favorise la maîtrise de soi. 

Accompagne-moi...!®

  Afin d’équiper au mieux les enfants d’aujourd’hui pour le monde de demain, Ensemble pour la Petite Enfance essaime un double dispositif pour réduire les inégalités de naissance et prévenir les risques psycho-sociaux. Les outils repérés il y a 10 ans au Québec sous une forme nord-américaine par la Déléguée générale et fondatrice de l’Association, ont été adaptés aux besoins des professionnels en France. Accompagne-moi…!® combine deux approches en une, le Portrait des Pratiques et Pilou et Filou®, et soutient des pratiques professionnelles efficientes dans le quotidien auprès de l’enfant. La démarche, validée par une recherche-action de l’Université de Bordeaux et de l’INSERM démontre sa pertinence au sein des crèches. Au cours d’un suivi sur 3 ans, les professionnels sont amenés à questionner leurs pratiques au regard des dernières connaissances sur le développement de l’enfant, et enrichir leurs actions pour contribuer positivement au devenir de leurs protégés. Dans ce cadre, Pilou et Filou, deux marionnettes, interviennent au cours de 15 ateliers scriptés, adaptés aux étapes de développement psychosocial des enfants de 18 mois à 5 ans. Pilou l’éléphant expose à Filou le singe ce que sont les comportements d’autrui, les émotions, et comment gérer les conflits. Les enfants adorent leurs mascottes, mais l’effet sur les adultes est tout aussi intéressant… 

Le mot de l’experte


Marie-Iris Duboys-Fresney, psychologue clinicienne et sage-femme, est co-créatrice des recherche-actions et responsable du déploiement d’Accompagne-moi…!®.

Pilou et Filou encouragent une posture réflexive sur la prise en charge de l’enfant, dans l’accueil individuel et la gestion du groupe, tout en mettant en perspective leurs propres émotions et réactions face aux défis quotidiens. Les marionnettes sont pertinentes pour servir de médiateur auprès des petits, qui s’identifient. Sans parler de catharsis, il y a une mise en abîme des situations du quotidien. Les ateliers conjugués à l’accompagnement quotidien des pros agissent sur tous les plans du développement: CPS, fonctions exécutives…

  Une nouvelle recherche-action auprès des assistantes maternelles est en cours pour adapter le processus à l’accueil individuel. Prochaine étape: la maternelle !
En savoir plus sur Accompagne-moi…!® 

Le plaidoyer d’EPE

Le droit à l’avenir, un droit à venir ?

  Si Greta Thunberg appelle de ses vœux un droit au futur, dans les faits, aucune convention internationale sur les droits de l’Homme ou de l’Enfant, ni aucun code civil ou pénal n’évoque l’avenir. Toutefois, on retrouve des dispositions qui visent à garantir le développement des potentiels de nos enfants pour leur permettre de faire face à l’imprévisibilité grandissante du monde de demain, notamment dans la Déclaration de Tachkent pour la transformation de l’éducation et  la  protection  de  la  petite  enfance, adoptée en 2022 par 155 États. Celle-ci reconnaît que les jeunes enfants “sont naturellement curieux de savoir comment le monde fonctionne et s’engagent dans un processus intensif de construction de sens sur eux-mêmes et sur leur environnement”. En conséquence, en développant des connaissances, des compétences, des valeurs et des attitudes sur les causes et l’impact du changement climatique, les jeunes enfants deviendront des “agents actuels et futurs de la paix et du développement durable” et des “gardiens de la planète”. Les signataires se sont accordés sur l’importance d’agir dès maintenant pour rendre autonomes les futurs citoyens. Même si le droit détermine le présent, les politiques actuelles déterminent le futur… Garantir un droit à l’avenir, c’est aussi permettre de prévenir les risques et écueils potentiels afin de laisser un milieu vivable, sécurisé et harmonieux dans lequel nos enfants pourront grandir. Le droit appréhende de plus en plus cette anticipation du futur avec, notamment, le principe de précaution à valeur constitutionnelle imposant d’anticiper les conséquences de nos actions à long terme et le préjudice écologique, qui pose des jalons pour assurer un environnement sain pour le futur. La prise en compte des “générations futures” est aussi de plus en plus présente : on retrouve désormais le terme dans le bloc de constitutionnalité française. Les gouvernements de la planète ont fait une promesse au monde en 2015 en adoptant les Objectifs de Développement Durable : celle d’agir pour garantir la paix et la prospérité pour la planète et les humains, aujourd’hui et pour le futur avant 2030… Mais ils n’ont pas force obligatoire. Agissons ensemble pour aller plus loin !  

Lire l’article au complet.

Publication originale d’Ensemble pour la Petite Enfance dans le Magazine Innovation en Education N°15, Peuvent-ils encore changer le monde ?

Co-rédigé Pauline Agator, Soline Amir-Tahmasseb et Marion Charpentier

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