La Terre Nourricière :

une professionnelle du développement de l’enfant

Contributions des Dres Josette Serres et Brigitte Collet

Par Pauline Agator

Les cultures humaines regorgent de métaphores sur le caractère maternel et nourricier de la Terre, la Nature et ses écosystèmes. Sur le plan biologique, les différents environnements naturels sont autant de défis adaptatifs pour les êtres vivants qui y ont évolué des millions d’années durant. Les organismes, dont le petit humain, sont héritiers de ces adaptations et sont de fait “conçus” pour se nourrir des ressources et contraintes de leur environnement, les digérer et s’y intégrer. 

La vie en extérieur est particulièrement stimulante pour le tout-petit qui trouve dans les environnements naturels les ressources d’expérience nécessaires au développement harmonieux de son corps, de son cerveau et de sa santé. 

Les Dres Josette Serres, psychologue du développement et Brigitte Collet, pédiatre, coordinatrices du Conseil Scientifique, traitent chacune du sujet depuis leur discipline. 

L’enfant est un grand explorateur souvent incompris !

Compte-rendu de conférence de Josette Serres

Dès la naissance, le bébé doit comprendre le fonctionnement de l’environnement qui sera le sien pour s’y adapter. Son cerveau est équipé d’une boucle qui favorise l’action. C’est un grand explorateur qui agit comme un chercheur en progressant par hypothèses. Les adultes ne comprennent pas toujours ce qu’il fait pourtant, son questionnement est vital. Ses découvertes sont donc très liées à sa motricité. Un enfant qui marche explore différemment d’un bébé qui vient juste de découvrir le 4 pattes. Pour favoriser ces explorations, les parents doivent lui laisser beaucoup de liberté de mouvement tout en assurant sa sécurité. Cette équation est difficile car il ne faut jamais être dans les extrêmes. Les meilleurs terrains d’entraînement se trouvent à portée de main, dans la forêt ou dans le parc voisin !

Lorsqu’on se penche sur le rapport des enfants à la Nature dans les pays industrialisés, on peut d’emblée faire quelques constats : 

  • Les enfants de moins de 6 ans passent entre 73% et 84% de leur temps d’éveil à des  activités sédentaires (télévision, écran, poussette, siège d’auto, etc.)
    * Référence canadienne 2012
  •  Les enfants ont perdu 25% de leur capacité physique
  • 4 enfants sur 10 ne sortent jamais pendant la semaine
  • En Angleterre les enfants sortent moins que les détenus !
Or, être dehors n’a que des avantages !
  1. Le cerveau a besoin de mouvement pour apprendre et il mobilise plus de réseaux quand notre corps est en mouvement
  2. L’attention est multipliée par 3 à l’extérieur
  3. L’enfant a besoin d’expériences motrices et sensorielles pour apprendre à se connaître
  4. Les espaces verts favorisent le développement de l’intelligence (Dadvand 2015)
  5. Mais aussi retardent la myopie, diminuent les allergies, développent le système immunitaire !
À quoi sert le cerveau ?

Le cerveau sert à prédire en bougeant ! Il perçoit les différents types de mouvements et produit des mouvements adaptables et complexes.

Comment le cerveau apprend ?

Parlons théorie Bayésienne : calcul de probabilités et importance des inférences

Pour raisonner sur les choses ou les personnes, le cerveau prédit des phénomènes en fonction de ses expériences ou des stéréotypes. Il fait des calculs de probabilités pour anticiper les évènements. A partir de 6 ans, l’enfant comprend que le temps est continu. Il cherche des relations de cause à effet à toute vitesse. Du point de vue de la survie de l’organisme, il doit faire des prédictions pour anticiper les dangers !

Le cerveau ne décalque pas le monde, il essaie de le prédire  Au lieu de concevoir le cerveau comme réagissant aux stimuli extérieurs, les hypothèses actuelles font plutôt de cet organe, un instrument de prédiction. Notre cerveau calcule en permanence ce qui doit se passer en fonction de ce qui s’est passé jusque-là, et c’est l’erreur de prédiction qui permettrait l’apprentissage.

Pour survivre, le bébé humain doit…

…Explorer l’environnement pour le comprendre et s’y adapter.

…Et en toute sécurité. Sans capacité de contrôle, l’enfant est programmé pour explorer et il laisse aux adultes le soin d’assurer sa sécurité.

Chacun son travail !

Les espaces naturels offrent des situations non calibrées à la taille des enfants. Ils sont obligés de procéder par essais-erreurs. Les conditions d’apprentissage sont idéales.  

Programmer ou inhiber l’action

La motricité en tant qu’activité d’exploration permet de comprendre le monde, et ce dès les premiers mois de gestation. L’action a un aspect intentionnel. Le bébé a un but à atteindre et un processus opérationnel. Comment s’y prendre ? 

Le bébé qui convoite un objet devra réaliser son geste en maintenant son équilibre postural quand il avancera ses bras tout en tenant compte des informations visuelles sur la taille et la distance de cet objet. 

Dans le cerveau, est précâblé un réseau de fibres produisant la boucle de perception-action : les signaux transitent du cortex visuel ou auditif au cortex moteur par deux voies traitant du “quoi” et du “où?” pour identifier l’objet et le localiser. L’action d’exploration est ensuite préparée en fonction de la forme de l’objet. C’est ce qu’on nomme l’affordance.

L’affordance

Toute action doit donc « négocier » les propriétés de l’environnement. L’affordance générée par un objet dépend de ses propriétés physiques mais également des caractéristiques morphologiques et des possibilités d’action de celui qui le perçoit. L’information perceptive ne déclenche pas le mouvement mais guide l’action et l’ergonomie du geste.

On connaît les affordances des objets d’intérieur : 

Le placard : on explore son volume 

La chaise : on teste la hauteur

La table : on explore la surface

©Illustrations conférence de Josette Serres

Dans la nature, la quantité d’affordances disponibles est infinie. 

Laissons-les explorer dehors ! 

Ce qu’on peut faire au parc ou en nature qu’on ne peut pas faire dedans

Courir, sauter, crier, grimper aux arbres, se salir ! Faire de la soupe aux cailloux ! Voir la nature se modifier avec les saisons, suivre le cycle des plantes, sentir les différentes températures, voir les effets de la pluie, de la neige et de la sécheresse. Découvrir des petites bêtes et écouter les oiseaux… 

Le mouvement développe l’hippocampe ! On apprend beaucoup mieux en bougeant qu’assis, d’autant que la posture assise est difficile à tenir pour un bébé dont la tête est lourde à porter, ce qui consomme une énergie qui pourrait être investie ailleurs… 

Expérience norvégienne

Terminons par l’expérience Norvégienne où l’éducation au grand air par tous temps est la norme : 

  • Les enfants sont plus calmes, plus confiants, plus concentrés et se développent harmonieusement sur tous les plans, préparant les apprentissages académiques. 

 

  • Des explorations, des prises de risques favorisant l’internalisation, la responsabilisation, la mesure du risque en estimant ses propres capacités au regard du défi.

« D’après mon observation, lors du Voyage d’étude en Norvège, les enfants sont heureux et épanouis et les professionnels aussi ! »

Quoi encourager à l’extérieur ?
  • L’expérience motrice : dehors, il y beaucoup d’occasions de bouger 
  • Contrôle inhibiteur : marcher sur un tronc d’arbre en équilibre est un bon exercice 
  • Choix de la posture stable, choisie et non imposée : pas de chaise dehors ! 
  • Agir sur l’environnement : manipuler, construire 
  • Feed back – prise de risques  
La prise de risque

Avoir un retour sur ses expériences par des prises de risque permet de réajuster ses actions et développer des stratégies d’action avec un contrôle moteur adapté. 

“La prise de risque est essentielle : l’enfant cherche sa Zone proximale de développement en testant ses limites. Dans les pays nordiques, on estime que l’enfant connaît ses limites et ne prend pas de risque inutile.”

©Illustration conférence de Josette Serres

Pour aller plus loin : Laissons-les expérimenter, accompagner la construction des connaissances chez le jeune enfant, Josette Serres, Christine Schuhl, 

Enfants des villes et enfants des champs

Extraits de l’ouvrage du Dr Brigitte Collet

« J’ai appris à parler bébé »

Les conseils avisés d’une pédiatre aux parents”

« La question de nos liens avec la nature et notre environnement revient en force actuellement car nous sommes dans une période de transition vers le monde d’après :

  • besoin de nature qui nous apaise et nous fait du bien alors que les gens vivent en majorité dans des villes ou des métropoles ;
  • en raison du réchauffement climatique ;
  • parce que le confinement nous a mis face à ce besoin de nature.

Souvent, quand on parle de « dehors », c’est considéré comme dangereux, pas très positif en tout cas : il y a des voitures, on va se faire mal, on va se salir. Il y a la pollution atmosphérique. Il faut changer cela et reconnecter nos enfants avec la nature, ressentir les rayons du soleil, la sensation de la pluie et du froid sur la peau.

Partir des besoins de l’enfant et pas des besoins des adultes. La sécurité des enfants, l’obligation qu’ils ne se fassent surtout pas mal, nous ont conduit à des cours d’écoles, de crèches et des aires de jeux dans lesquelles la nature et le végétal ont disparu. Or cette sécurité qu’on place au-dessus de tout est un besoin pour les adultes-parents ou professionnels qui s’en occupent, mais pas pour les enfants qui veulent et doivent expérimenter pour grandir. La vraie sécurité dont les enfants ont besoin est la sécurité affective et quand ils jouent dehors, ils le font sous le regard des adultes qui prennent soin d’eux. C’est cela qui compte. 

L’enfant a besoin d’enrichir ses expériences, de savoir voir, observer, regarder, de savoir écouter, toucher, sentir . Ces expériences stimulent ses connexions neuronales.

Les enfants ont un besoin de nature que nous leur devons de satisfaire , ceci pour plusieurs raisons :

  • Besoin de grand air, il faut respirer à fond, un air pur sans ventilation, ni allergènes. Ouvrir les fenêtres, et ventiler les pièces après la classe par exemple, ou la maison, les chambres en se levant, c’est bien. Mais les odeurs de la forêt, les feuilles mortes, les champignons ou celles de la plage, le sable, des rochers, des coquillages et du varech, la diversité des écosystèmes s’apprennent de cette manière. Avec les odeurs, ce sont aussi des souvenirs qui se gravent à jamais. 

 

  • Besoin pour la vision binoculaire : aller dehors, c’est exposer ses yeux à la lumière naturelle. On observe une épidémie de myopie, qui est liée au fait que les enfants vont peu dehors, sont peu exposés à la lumière naturelle et sont beaucoup sur les écrans. Or il faut au moins 2 heures par jour de lumière naturelle pour que l’œil se développe normalement. C’est encore mieux 4 heures par jour. Et puis l’accommodation, c’est-à-dire voir près et puis voir loin, cela s’exerce de cette manière. Les couleurs, les nuances, les éclairages, le soleil sont des facteurs de changement qui exercent les yeux et les font travailler. Stimuler la vision d’un enfant est essentiel car plus on stimule, plus on a de connexions entre les neurones et plus le cerveau se développe dans toutes ses dimensions. Je me demande parfois ce que pense un bébé dans sa poussette sanglé sous la capote, porteur d’une casquette, de lunettes noires et d’un tee shirt anti UV ? Voit il bien la vie équipé comme cela ?

 

  • Besoin pour le développement du schéma corporel (1 à 3 ans) et psychomoteur : les enfants sont beaucoup trop sédentaires. Courir, se dépenser, se fatiguer physiquement, éprouver l’espace, la hauteur quand on saute, ou quand on passe sous un arbre, c’est essentiel pour les repères de son corps. Se cogner, tomber, se relever, escalader, tomber, recommencer …C’est apaisant car on évacue l’énergie emmagasinée, après l’école par exemple. C’est de la bonne fatigue. Nos enfants sont souvent bridés, attachés, sanglés dans le cosy, la chaise haute, le siège auto, puis obligés de rester assis en classe, et beaucoup n’ont pas la chance d’avoir un jardin. Vive les récréations puisqu’on est dehors, et les balades en forêts ! Jouer avec l’eau, la terre, le sable, c’est apprendre le contenant et le contenu. Marcher sur un sol en pente, sur un sol où il y a des trous …c’est apprendre l’équilibre.

 

  • Pour crier et faire du bruit : être dehors, c’est sortir des bruits du quotidien, de la maison, et c’est bien de prêter attention aux bruits des oiseaux, du vent dans les feuilles ou de la cloche de l’église, au bruit des pompiers ou de l’ambulance aussi. Les enfants ont besoin de faire du bruit, d’exercer leur voix, de vocaliser et chanter à tue-tête ! Et dehors c’est possible, alors qu’à l’intérieur le bruit résonne et fatigue. Distinguer les bruits qui sont près et ceux qui sont loin, les sons très ténus , les chants d’oiseaux par exemple, et les sons plus forts. Cela s’appelle de la discrimination auditive.

 

  • Pour jouer sans jouets, avec des cailloux, des marrons, des feuilles, des fleurs pour apprendre leur fragilité, des châtaignes pour apprendre les piquants. Toucher les différentes écorces, celle soyeuse du bouleau, celle râpeuse du chêne. Apprendre à jouer avec des bâtons, construire une cabane ou les contours d’une maison dans le sable. Jeter des cailloux dans l’eau et mettre ses mains dans le courant d’un ruisseau. Donner du pain aux carpes, aux canards ou aux chevaux. Observer les traces dans la neige ou dans le sable. Creuser la terre avec un bâton. Prendre un escargot et le regarder avec ses cornes rentrer dans sa coquille, poser une coccinelle sur une feuille, là c’est la motricité fine !

 

  • Pour s’apaiser, car être à l’intérieur, se contenir demande un effort sur soi- même. Dehors, on peut se lâcher, le soir on dort mieux. La nature aide à prendre du recul et apporte la paix.

 

  • Favoriser la collaboration et la créativité entre les enfants, car dans la nature cela devient possible.

 

Lors d’un voyage d’étude sur la Petite Enfance en Norvège avec l’association Ensemble pour la petite enfance, nous avons visité des jardins d’enfants en pleine forêt. Les enfants jouaient dehors car le chalet lui-même était exigu : un vestiaire, une salle d’activité. Pas de cantine , les enfants déjeunaient dehors sous un préau avec un barbecue sur lequel ils faisaient griller des brochettes de pommes. Pas de dortoir car les enfants dormaient en plein air sous un auvent dans leur poussette bien emmitouflés et par tous les temps. Ils étaient vêtus d’une combinaison imperméable en doudoune, style combinaison de ski et si la pluie arrivait , ils mettaient leur capuche et continuaient à jouer. C’était incroyable. Certes, les enfants avaient entre deux et cinq ans mais ils ne tombaient pas, faisaient attention aux racines et manipulaient les scies et haches sous le regard des éducateurs hommes qui m’évoquaient des vikings. En interrogeant l’un d’eux, il m’a répondu très calmement qu’il fallait bien que les enfants s’habituent à ce milieu et apprennent à y vivre.

 

La température du dehors n’est pas un problème comme on l’observe au Québec où les enfants sortent en récré jusqu’à moins 20°, à condition de bien se couvrir, car dehors ils bougent et se réchauffent, sauf dans la poussette !

Se salir non plus n’est pas un problème avec les bottes et des affaires déjà usagées.
Nous voulons de vrais espaces verts dans les villes, et pas des aires de jeux sécurisées. Mais cela impose de rester près d’eux et de les accompagner dans leurs expériences.

Les emplois du temps et activités des enfants leur laissent-elles le temps de rêver, de ne rien faire en apparence ? Il faut leur laisser du temps libre. N’ayons pas peur qu’ils s’ennuient.

« La possibilité de divaguer, de laisser notre esprit créer des association nouvelles, de dormir, de rêver, tout cela est absolument essentiel » ( Lionel Naccache ) »

Chapitre 5 pp 110-113

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