Soutenir un allaitement durable : la parole aux mères
Par l‘Équipe d’Ensemble pour la Petite Enfance

À l’occasion de la Semaine mondiale de l’allaitement maternel (SMAM 2025), placée cette année sous le thème « Priorité à l’allaitement : créer des systèmes de soutien durables », la Fédération Ensemble pour la Petite Enfance a choisi de donner la parole à celles qui en parlent le mieux : les mères.
L’allaitement n’est pas qu’un choix. Il est souvent aussi une aventure semée d’obstacles, d’incompréhensions et de déséquilibres dans le soutien reçu. C’est dans cette perspective qu’il nous semblait essentiel de mettre en lumière les vécus, les besoins et les idées de mères pour construire ensemble des véritables réseaux de soutien.
Ces témoignages, recueillis auprès de sept mamans de notre communauté, illustrent une même conviction : pour qu’un allaitement fonctionne dans la durée, il faut un écosystème qui accompagne véritablement les parents — à la maternité, à la maison, au travail et dans la société.
Découvrez dans cette article les témoignages dans leur intégralité.
Quels sont pour vous les actions nécessaires permettant de soutenir un allaitement maternel dans la durée ?
« J’ai pu échanger avec d’autres mamans et constater qu’elles avaient vécu la même expérience »
Maman d’un bébé de 8 mois et demi
« Par rapport à mon expérience, il y a beaucoup de choses à faire à la maternité. Le personnel encourage l’allaitement mais rien n’est fait pour que cela fonctionne s’il y a des petites difficultés.
Avec Arthur nous avons eu la pression pour lui donner des compléments de lait artificiel au biberon, cela ne nous a pas donné les meilleures chances pour l’allaitement qui ne se sera finalement pas passé comme je le souhaitais. De même le matériel n’est pas adapté en maternité, les téterelles n’étaient pas à la bonne taille, donc forcément le tire lait ne fonctionnait pas de manière optimale et ne stimulait pas assez la montée de lait. Le personnel de maternité n’est pas assez formé, quand je demandais de l’aide on m’aidait à positionner Arthur mais personne ne vérifiait qu’il restait ensuite bien en position et qu’il tétait bien.
Lors d’un atelier avec des jeunes mamans organisé par ma commune, j’ai pu échanger avec d’autres mamans et constater qu’elles avaient vécu la même expérience.
Les chiffres de l’allaitement sont bas en France mais cela se comprend aisément.
Pour ma part j’ai réussi à continuer un peu l’allaitement après des séances de consultation en lactation, je n’ai pas baissé les bras, et cela m’a permis d’avoir la force de continuer ensuite avec un tire allaitement exclusif jusqu’aux 4 mois de mon fils. Cela étant toutefois très fatigant, je me suis arrêtée à 4 mois, alors que je souhaitais initialement allaiter jusqu’à ses 6 mois. »
« Les informations sur l’allaitement long n’arrivent pas au bon moment »
Maman d’un bébé de 7 mois et demi
« Je trouve que les informations sur l’allaitement long devraient être données aux femmes qui allaitent, mais celles que j’ai vues passer ne sont pas arrivées au « bon moment ». J’ai vécu un début d’allaitement difficile, avec un bébé qui ne voulait pas téter au début, ce qui nous a demandé tout de suite de mettre en place un allaitement mixte sein – lait maternel tiré. Puis, la prise au sein était difficile ce qui nous a obligé à utiliser des positions d’allaitement pas toujours confortables et qui rendaient ces moments difficiles. Les ouvrages sur l’allaitement que j’ai consultés à ce moment là ne m’ont pas vraiment aidée : mise en avant de l’allaitement « plaisir », accent sur le fait de proposer le sein tout le temps avant même que le bébé réclame, très peu d’infos sur le tire-allaitement, accent sur le fait de ne pas donner la tétine alors que cela soulageait énormément mon bébé (et n’a eu au final aucun incident sur la suite de son allaitement)… Comme mon parcours n’était pas le parcours classique décrit, je ne me suis pas reconnue et ne me suis donc pas du tout sentie concernée par les conseils sur les allaitements aux temps longs qu’on pouvait y trouver.
Puis, grâce à des consultations avec le médecin traitant de l’enfant, une ostéopathe et une consultante en lactation, la prise au sein s’est mieux faite et les tétées se sont de mieux en mieux passées, ceci vers les 2 mois et demi / 3 mois du bébé. C’est à ce moment que je me repenche vers la possibilité d’un allaitement long et là, ce sont les réseaux sociaux de mamans qui m’ont aidée et qui diffusent des conseils. Mais ce n’est pas entièrement satisfaisant car on y trouve parfois tout et son contraire.
Je pense que ce qui aiderait serait des brochures sur l’allaitement long qui pourraient être distribuées par le médecin de l’enfant, les sages-femmes qui s’occupent de la rééducation du périnée, les PMI ou les gynécologues aux femmes allaitantes. Sans mettre la pression aux femmes pour qu’elles continuent, ces brochures pourraient présenter les bienfaits du lait maternel après les premiers mois (on entend souvent qu’après 4 mois, ça ne sert plus à rien) et aussi donner des conseils sur le tirage du lait à la reprise du travail des femmes, car c’est un enjeu considérable qui peut demander une charge très lourde en termes d’organisation. Des conseils pratiques pour maintenir sa lactation pourraient également être bienvenus (en réalité, ces conseils pourraient même être prodigués plus tôt, on peut avoir des baisses de lactation dès les premiers mois). Pourquoi pas aussi donner des conseils sur l’alimentation de la maman lorsque l’allaitement perdure, ou sur comment faire une reprise d’allaitement si un médicament non compatible doit être pris.
Les réseaux sociaux sont vraiment une mine d’informations sur ce sujet, mais ils demandent beaucoup d’investissement pour avoir des réponses, et elles ne suivent pas toujours les recommandations « officielles ». Une brochure rédigée (ou au moins validée) par des professionnels de santé pourrait vraiment aider à considérer l’allaitement long comme une possibilité, même si on conservera les réseaux sociaux pour des petits conseils pratiques. »
« Dans ce qui permet un allaitement plus long : l’investissement du père +++ »
Maman d’un bébé de 8 mois
« Pour ma part je dirais :
Dans ce qui permet un allaitement plus long :
- investissement du père +++
- un accompagnement des professionnel.les de santé formé.es de qualité
- un soutien entre mère allaitantes via des groupes de parole
- un lâcher prise sur le sommeil (et notamment les normes de sommeil françaises : endormissement autonome, dans une chambre seul.e, pas de réveil nocturne etc)
- un congé parental
- une logistique réfléchie notamment si on souhaite allaiter et reprendre le travail
Dans ce qui devrait être mis en place :
- un congé maternité plus long (beaucoup beaucoup plus long)
- aménager le droit pour tirer son lait dans le cadre professionnel : déjà le rémunérer (franchement le déduire du salaire c’est pas possible) et le prolonger à 18 mois et pas seulement 1 an
- les pharmacies devraient investir dans les tire lait portatifs (ceux de la pharmacie sont pas assez pratiques pour les mères qui travaillent donc elles doivent investir)
- communiquer sur l’allaitement encore et encore pour faire évoluer les mentalités
- voter un texte de loi sur le droit à l’allaitement sur l’espace public car cela n’a toujours pas été légiféré et appuyer le fait qu’une femme peut allaiter partout
- prise en charge des rendez vous conseiller.es en lactation par la securité sociale
- former les professionnels de santé type médecin/pédiatre à l’allaitement (renforcer le cursus de médecine sur l’allaitement) pour un meilleur accompagnement des femmes et des enfants (il y a encore trop de choses fausses qui sont dites) »
« Une meilleure formation des professionnels de la petite enfance »
Maman d’un bébé de 8 mois
« Je serai tentée de répondre :
- un suivi systématique par une consultante en lactation ibclc et si possible une prise en charge par la sécurité sociale
- la mise en place de lieux dédiés au tire allaitement au sein des lieux de travail (ou tout simplement déjà des actions pour soutenir la poursuite de l’allaitement à la reprise du travail) avec un endroit pour tirer + un frigo
- la prise en charge par la sécurité sociale de tire lait discret et portable (j’ai vu la différence entre les 2 allaitements avec les petits tout est plus simple, pourtant j’avais un medela freestyle qui est déjà portable mais pas assez discret)
- une meilleure formation des professionnelles de la petite enfance qui ont parfois une réticence à la gestion d’un bébé allaité probablement par mal connaissance ou font parfois des erreurs (exemple pas de biberon donné pendant 8h parce que l’allaitement c’est à la demande et qu’il n’a pas réclamé – à 5 mois-). »
« Nous avons besoin d'accompagnement… [et] un guide »
Maman d’un bébé de 4 mois
« Pour soutenir un allaitement sur la durée, nous avons besoin d’accompagnement de professionnels dédiés. Un guide de toutes les difficultés que nous pourrions rencontrer et vers quel professionnel se tourner avec une liste précise en fonction de la ville. Plus de tutoriels sur le choix pour tirer son lait, savoir choisir sa taille de téterelle par exemple ou quel mode utiliser.»
«Allonger la durée du congé maternité. Cela me semble un levier important pour soutenir l'allaitement dans la durée »
Maman d’un bébé de 7 mois
« Je suis la maman d’un petit garçon de 7 mois, que j’allaite encore aujourd’hui, après avoir repris le travail alors qu’il avait 3 mois et demi. D’après mon expérience personnelle, voilà des actions qui à mon sens permettraient de soutenir un allaitement maternel dans la durée :
- Garantir à toutes les femmes enceintes l’accès à une information de qualité sur l’allaitement : ses bienfaits, sa mise en place, les solutions qui existent pour pouvoir poursuivre après la reprise du travail, les difficultés qui peuvent être rencontrées, mais surtout les recours possibles en cas de difficultés afin de savoir à qui s’adresser.
- Améliorer la formation des professionnels de santé dans le domaine de l’allaitement. En effet, on peut parfois encore recevoir des conseils de la part de professionnels de santé qui peuvent dans certains cas nuire à la poursuite de l’allaitement, sans que cela parte d’une mauvaise volonté.
- Garantir une prise en charge par la sécurité sociale des consultations spécialisées en lactation, afin que toutes les femmes puissent y avoir accès en cas de besoin sans frein d’ordre financier.
- Allonger la durée du congé maternité. Cela me semble un levier important pour soutenir l’allaitement dans la durée. Personnellement j’ai trouvé que l’allaitement est une expérience formidable, mais pas toujours simple, et qui met du temps à bien se mettre en place. Pour ma part, une fois les difficultés passées et alors que les choses commençaient à bien rouler, il était déjà temps de penser à la reprise du travail, qui correspond malheureusement souvent au sevrage.
- Améliorer la formation des professionnels de la petite enfance, et plus généralement modifier la perception par la société de l’allaitement prolongé et le normaliser. Les « normes » (en terme de nombre de repas, quantité de lait etc…) semblent encore aujourd’hui basées sur une alimentation au lait artificiel.
Quand je compare mon expérience à celle de ma mère, j’ai l’impression que les choses ont évolué de façon très positive ces trente dernières années ! Mais il reste encore du chemin à parcourir.»
« Finalement, la communication est au cœur de tout »
Maman d’un bébé de 9 mois
« Pour moi les actions nécessaires pour permettre un allaitement maternel dans la durée sont les suivantes :
- Communication auprès de la génération des boomers (« quand est-ce que tu arrêtes l’allaitement ? » « ça devient malsain » « on aimerait pouvoir le nourrir aussi » « c’est parce qu’il est allaité qu’il ne dort pas la nuit » « s’il pleure autant c’est parce qu’il est tout le temps au sein de maman »)
- Communication auprès des mamans +++++ : l’allaitement n’est pas un doux fleuve tranquille pour toutes. Pour moi, par exemple, ça a été des moments très compliqués qui ont fait que j’ai arrêté d’allaiter mon fils à ses 4 mois et demi, alors que justement tout allait enfin se stabiliser.
- Communiquer encore plus sur la présence des PMI, vrai soutien pour les mamans mais malheureusement pas assez connues.
Finalement, la communication est au cœur de tout et une meilleure préparation serait la bienvenue. Détabouiser les désagréments aussi ! Par exemple le fait de transpirer énormément lorsqu’on allait, d’avoir beaucoup plus faim mais pas assez de temps pour se préparer à manger, l’énergie que ça prend, impliquer le coparent au maximum également.
Pour moi comme pour beaucoup de personnes de mon entourage, l’allaitement a été une merveilleuse expérience mais très difficile.
La génération de nos parents ne sont pas suffisamment formés pour être de bons soutiens et c’est une aventure où l’on peut se sentir bien seule.»
Ce que ces témoignages nous enseignent sur l’accompagnement à l’allaitement maternel...
- L’allaitement nécessite un soutien professionnel formé et disponible, capable d’adapter ses conseils aux situations concrètes des mères.
- L’accès à des informations pratiques et fiables, au bon moment, est déterminant pour que l’allaitement puisse se poursuivre durablement.
- Le soutien des proches, notamment les pères, et des réseaux de pairs aide à réduire l’isolement et à renforcer la confiance des mères.
- Les conditions structurelles, comme le congé maternité, la logistique du travail et l’aménagement des espaces de tirage, ont un impact direct sur la réussite et la durée de l’allaitement.
- La communication et la reconnaissance des difficultés réelles des mères permettent de normaliser les obstacles et de valoriser leurs efforts.
En conclusion
Ces témoignages rappellent que l’allaitement maternel s’inscrit dans un écosystème plus large, où chaque maillon compte : les familles, les professionnels, les institutions et la société dans son ensemble. Il ne suffit pas d’encourager l’allaitement ; il faut créer les conditions concrètes qui permettent aux parents d’être véritablement accompagnés.
Soutenir un allaitement durable, c’est reconnaître la complexité des parcours, valoriser la diversité des choix et renforcer les compétences de tous ceux qui œuvrent auprès des familles.
La Fédération Ensemble pour la Petite Enfance s’intègre dans la poursuite de cet objectif à travers son label Family Friendly Company®, qui encourage et soutient les entreprises qui prennent des mesures en faveur de la parentalité en entreprise et de la conciliation des vies, et des dispositifs comme les Maisons des 1000 premiers jours®, qui rassemblent des professionnels de disciplines variées autour d’un objectif commun : offrir aux parents un lieu d’écoute, de ressources et de soutien dès les débuts de la vie. Des espaces où la confiance se construit, où les liens se tissent, et où la parentalité s’invente chaque jour dans le respect des besoins de chacun — et avant tout, de l’enfant.