Le droit à l'avenir, un droit à venir ?

Par Soline AMIR TAHMASSEB

Ce proverbe amérindien met en exergue les responsabilités des générations actuelles pour les générations futures : celles de laisser aux enfants de demain une Terre dans laquelle ils peuvent vivre et s’épanouir, à l’image de celle dont nous avons hérité, ou du moins, de celle de laquelle nous aurions aimé hériter. D’ailleurs, l’autoconservation d’une espèce est biologiquement induite par son génome. Ses comportements s’inscrivent dans une logique de survie de l’individu et du groupe. Et puisque l’humain n’échappe pas à cette règle, il est intéressant de voir comment il se donne les moyens de pérenniser sa survie sur Terre !

Parlons droit ! Le droit, au sein de l’espèce humaine, réglemente et harmonise les actions des individus d’une société donnée : un droit à l’Avenir est-il possible pour nos petits? 

Selon Hans Jonas, notre responsabilité envers les générations futures est entière et contraignante  :

 

Si les individus de demain peuvent demander des comptes aux individus d’aujourd’hui et les accuser parce que ces derniers n’ont pas garanti le maintien des conditions nécessaires à  la vie humaine,  et leur possibilité de vivre dans un monde qui leur permette d’atteindre leur plein potentiel,  alors cela pose les pierres d’un droit à l’avenir, d’un droit pour les générations futures.

Le droit à l’avenir est le droit pour les générations actuelles et futures d’avoir un avenir. C’est en ce sens que l’on parle plus souvent du “droit pour les générations futures”. Il s’agit ainsi d’ “imaginer une responsabilité immédiate de génération présente envers les générations futures qui n’existent pas, et cela en raison d’un dommage futur mais certain qui affectera ces générations”².

 Ce droit oblige dès maintenant les générations actuelles à assurer les conditions nécessaires pour que les générations futures aient une vie digne de leur condition humaine, respectueuses de leurs droits fondamentaux et de leurs besoins physiologiques. Ce droit à l’avenir, le droit pour les générations futures, n’est-il pas un implicite des droits humains qui sont “naturels, inaliénables et sacrés³” ? Ne s’appliquent-ils donc pas à n’importe quelle personne, de n’importe quelle génération ? Les Droits de l’Homme n’ont de sens que dans leur vision à long terme. Garantir le droit à la vie, c’est assurer que les générations futures aient un environnement sain et des ressources suffisantes pour vivre.

Ainsi, le philosophe et historien Hans Jonas nous incite à agir “de façon que les effets de [nos] action[s] ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’[une vie authentiquement humaine] »4.

Consacrer un tel droit, c’est un grand pas effrayant et contraignant : cela nous met face à nos responsabilités. Celui-ci impose aux individus d’aujourd’hui de respecter leur responsabilité envers les individus de demain et donc à penser aux conséquences de leurs actions sur le long terme. Et en effet, l’UNICEF commente en ces mots l’adoption en 2015 des Objectifs de Développement Durable par les États : 

“Ce plan d’action mondial nous met face à notre responsabilité d’agir. Nous disposons des preuves scientifiques, des connaissances et de l’expérience requises. Il nous appartient à présent d’investir dans […] l’avenir des enfants. Pour leur bien et pour le nôtre”5

Et comme « iI n’est pas de droit qui n’impose un devoir6 », respecter ce droit à l’avenir c’est, donc, avoir le devoir d’assurer l’avenir.

Bien que le droit à l’avenir ne soit pas mentionné dans l’arsenal juridique national et international, le droit pour les générations futures émerge peu à peu.  L’UNESCO, entre autres, s’est saisi du concept en adoptant la Déclaration sur les responsabilités des générations présentes envers les générations futures à Paris, le 12 Novembre 19977.

 

Le droit à un avenir ouvert

Garantir ce droit c’est donc créer les “conditions voulues pour que les besoins et intérêts des générations futures8 ne soient pas compromis par le poids du passé et à léguer un monde meilleur aux générations futures”. Ainsi, il s’agit de permettre de prévenir, dès maintenant, les risques et écueils potentiels afin de laisser un milieu vivable, sécurisé et harmonieux dans lequel nos enfants pourront grandir et développer leur plein potentiel. Il est question d’entraîner la responsabilité des personnes et de la société d’aujourd’hui sur les conditions de vie des enfants et des adultes futurs. Ce droit permettrait de préserver la sécurité et la survie physique des individus à venir, leur dignité, l’expression de leur plein potentiel et de leur créativité. En ce sens, il faudrait certes préserver l’environnement, la planète et ses ressources mais aussi la biodiversité, les richesses culturelles ou encore la paix. 

C’est dans ce contexte, notamment, que l’on voit apparaître la notion de patrimoine commun de l’humanité.

 Il s’agit de préserver les conditions optimales de l’existence humaine et non la seule existence de l’être humain stricto sensu. Ce droit se pense donc comme un droit pour que les générations futures jouissent de leurs droits. C’est dans ce contexte qu’apparaît le contexte du droit à un avenir ouvert, comme le suggère Joel Feinberg9. En effet, « la possibilité de l’avenir est fragile : c’est pourquoi la fin de l’avenir est possible, beaucoup plus probable que la fin du devenir » (Stiegler, 2003).

Ce droit préviendrait un avenir restreint et limité, garantirait et ferait la promotion d’un avenir ouvert pour les générations futures. Il viendrait limiter et empêcher la perte de chances, notion juridique, des individus à venir. C’est ainsi que l’on voit, ces dernières années, des appels positifs à « changer d’avenir » (Économistes atterrés, 2017), à renouveler nos imaginaires (Zanzibar, 2020),  et à changer de paradigme (Internationale convivialiste, 202010).

 

Penser une autre temporalité du droit

Paradoxalement – et ce, quelle que soit la nomenclature utilisée (droit à l’avenir, droit pour les générations futures) – même si les titulaires de ce droit sont les générations futures, les responsables et les obligés sont ceux en vie avant eux. Dès lors, il s’agit de penser une nouvelle temporalité du droit et de créer un droit qui oblige les individus d’aujourd’hui pour les individus de demain. Les bénéficiaires du respect de ces droits ne peuvent pas venir se plaindre de son infraction, et pour cause : ils ne sont pas encore nés. On voit là la difficulté et le paradoxe de la création d’un tel droit. Ce dernier vient, dès lors, poser une obligation d’anticipation et de réflexion sur le long terme. 

Cependant, dans la conception classique de la science juridique et de la société actuelle,  le droit ne régule que le présent et c’est aux politiques de déterminer le futur. D’ailleurs, ce premier évolue selon que les mœurs et les enjeux sociétaux évoluent, en témoignent par exemple la légalisation du droit de vote pour les femmes ou celle de l’IVG. Et comment pourrait-il en être autrement ? Comment pourrait-on légiférer pour venir répondre à des besoins imprévisibles qui n’existent pas encore et qu’on ne connaît pas ?

Comment imposer des droits et devoirs à des humains qui ne sont pas encore nés alors qu’on ignore de quoi demain sera fait ? La Déclaration des droits de l’homme de 179311 – bien que jamais entrée en vigueur – met en lumière cet impératif juridique évident en disposant, en son article 28, qu’« Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures »12. Légiférer pour les citoyens du futur serait quelque peu présomptueux, voire carrément irrespectueux…

 Fort de ce constat, pourquoi, à l’heure où “futur” rime plus que jamais avec “incertitude”, la notion de droit des générations futures est, plus que jamais, sur toutes les lèvres ? De Greta Thunberg à Emilie Gaillard en passant par le Commandant Cousteau, tous appellent les gouvernements à penser ce nouveau droit qui serait trans-générationnel.

 

Un droit pour les générations futures, une réflexion transgénérationnelle et trans-spatiale

Force est de constater que les références à un droit qui appelle à penser les conséquences de ses actions et décisions sur les années à venir fleurissent à travers les âges et les continents.

On peut relever, par exemple, le principe de la 7ème génération des Iroquois d’Amérique du Nord vieux de plusieurs siècles : toute décision prise doit prendre en compte ses conséquences sur 7 générations !  De même, le 29 avril 2021, la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe rend une décision novatrice en ce qu’elle déclare anticonstitutionnelle la loi fédérale sur la protection du climat de 2019 qui vise à réduire de manière insuffisante les émissions de gaz à effet de serre avant 2030, laissant aux générations futures après 2030 la charge de réduire considérablement les émissions, charge qui constituerait un “fardeau écrasant” pour ces générations13

Si cette notion transcende les époques et les frontières c’est bien qu’elle trouve ses racines dans un dans un logique consensuelle et transgénérationnelle : ceux qui font le droit et ceux qui le réclament sont aussi parents. Et ce n’est d’ailleurs pas sans raison que la pensée d’un droit à dimension transgénérationnelle fait l’objet d’un consensus international : l’espèce humaine transcende les frontières. C’est d’ailleurs la raison même de la création des Nations Unies : en 1945, le monde s’est uni pour préserver les générations futures du fléau de la guerre. Quelques années plus tard, en 1972, la Conférence internationale de Stockholm abonde en ce sens en marquant le « coup d’envoi » du droit de l’environnement. En 2015, les gouvernements de la planète ont fait une promesse au monde en 2015 en adoptant les objectifs de développement durable : celle d’agir pour garantir la paix et la prospérité pour la planète et les humains, aujourd’hui et pour le futur avant 2030.

Plus récemment, le droit international pour les générations futures prend un tournant nouveau lorsque les Etats s’unissent pour prendre des engagements qui arment les futures générations de compétences pour faire face à l’imprévisibilité grandissante du monde de demain. En novembre 2022, 155 États se sont réunis et ont adoptée la Déclaration de Tachkent pour la transformation  de l’éducation  et  la  protection  de  la  petite  enfance14. Celle-ci incite à “Renforcer l’éducation à la paix et au développement durable dès la petite enfance”15 car les jeunes enfants “sont naturellement curieux de savoir comment le monde fonctionne et s’engagent dans un processus intensif de construction de sens sur eux-mêmes et sur leur environnement”16. Forte de ce constat, la Déclaration affirme qu’en développant des connaissances, des compétences, des valeurs et des attitudes sur les causes et l’impact du changement climatique, ils deviendront des “agents actuels et futurs de la paix et du développement durable”17, et des “gardiens de la planète”18. Les signataires se sont accordés sur l’importance d’agir dès maintenant pour influencer les comportements des futurs citoyens et leur donner les clés pour affronter les défis d’aujourd’hui et de demain.

 

Un droit fictif ?

Pourtant, on ne peut que regretter de constater que ces promesses et engagements n’entraînent aucune obligation, si ce n’est morale. En effet, parmi tout l’arsenal juridique international à force obligatoire, qui contraint ceux qui ont ratifié les accords à les respecter, le droit à l’avenir, tel qu’il permettrait aux enfants d’aujourd’hui et de demain de développer leur plein potentiel pour survivre et vivre dans un environnement sain et empli de ressources qui leur permettent de grandir, n’existe pas en tant que droit autonome. Conventions internationales sur les droits de l’Homme et de l’Enfant, codes civils et pénaux… aucun n’évoque l’avenir ou le futur.

 Il serait alors facile de se dire que non, le droit à l’avenir ou pour les générations futures, stricto sensu en ce qu’il impose des obligations à l’avenir n’existe pas et que les États ne sont pas encore prêts à basculer dans ce champ.

Et pourtant ! Si trouver un consensus international est difficile, les initiatives contraignant les États et les individus à agir pour préserver les générations futures fleurissent aux niveaux nationaux. Chacun avance à son échelle et la prise en compte par le droit des besoins des enfants de demain apparaît. Et la République Française n’est pas étrangère à ce concept.

Ainsi, le Principe de précaution, principe à valeur constitutionnelle19, vient porter un regard nouveau sur le droit. Il passe d’un droit qui sanctionne a posteriori à un droit qui sanctionne a priori et impose d’anticiper les conséquences à long terme de nos actions. Le préjudice écologique, récemment entériné dans la législation française par la loi n° 2016-1087 du 8 août 201620 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, vient poser des jalons pour assurer un environnement sain pour le futur en ce qu’il reconnaît que la dégradation d’un écosystème pose un préjudice objectif réparable, “par priorité en nature”21. La prise en compte des générations futures est aussi de plus en plus présente. En outre, ce droit a été placé au sommet de la hiérarchie des normes. L’intégration dans le bloc de constitutionnalité français de la Charte de l’environnement qui dispose “Qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins”22 lui donne, en effet, une valeur constitutionnelle.

 

Alors… 

Nommer et qualifier ce droit qui vient imposer des responsabilités aux individus d’aujourd’hui pour garantir l’avenir des générations futures est complexe et entraîne un profond changement de paradigme pour le droit et la pensée collective !  Il requiert de réfléchir aux conséquences de nos actions sur le long terme. Il nous met face à nos responsabilités. Ces difficultés et ces responsabilités font que, malgré l’urgence de la situation, ce droit n’est pas encore devenu un droit autonome à force obligatoire. Néanmoins, ne soyons pas défaitistes ! Les initiatives pour garantir à nos enfants et à nos petits-enfants s’invitent dans les discussions privées comme publiques, et peu à peu, des dispositions juridiques à force obligatoire sont créées. Le principe de précaution, le préjudice écologique ou encore la décision unique de la Cour constitutionnelle allemande sont des pistes prometteuses qui dessinent les contours d’un droit autonome à venir, rendant hommage au principe d’auto-préservation de l’espèce humaine. 

1Jonas, H. (1990) Le principe de responsabilité: Une éthique pour la civilisation technologique. Paris, France: Le Cerf

2Markus, J.-P. (2012) Quelle responsabilité Juridique Envers Les générations futures? Paris, France: Dalloz

3Archives nationales (France), 30 septembre 1789, AE/II/1129, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

4Jonas, H. (1990) Le principe de responsabilité : Une éthique pour la civilisation technologique. Paris, France : Le Cerf, p. 30-31

(2017) 5Les premiers moments comptent pour chaque enfant, unicef.org. New-York, Etats-Unis: UNICEF, ici.

6Massias, N. (1821) Rapport de la nature à l’homme: Et de l’homme à la nature ; ou, Essai sur l’instinct, l’intelligence et la vie. Paris, France: Firmin Didot.

7Déclaration sur les responsabilités des générations présentes envers les générations futures (1997), ici.

 8Ibidem

9Hunyadi, M. (2021) L’idée d’un droit à un avenir ouvert, ici.

10Appel à contribution : Vivre et penser UN Avenir Ouvert – Enjeux pratiques, éthiques et politiques: Actualites: Espace éthique/ile-de-france (2020), ici

11Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 24 juin 1793, Conseil constitutionnel, ici.

12Ibidem

13Direction générale du Trésor (2021) Une loi climat invalidée par la cour constitutionnelle de Karlsruhe, Direction générale du Trésor, ici.

14Déclaration de Tachkent et engagements d’action pour la transformation de l’éducation et de la protection de la petite enfance (2022), ici unesco.org.

15Ibidem

16Ibidem

17Ibidem

18Ibidem

19Denoix de Saint Marc, R. (2014) Le principe de précaution devant le conseil constitutionnel, Conseil constitutionnel, ici

20LOI n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (1) NOR : DEVL1400720L ELI : ici.

21Ibidem. Art. 1249

22Charte de l’environnement (2005), ici.

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