La formation des professionnels de la petite enfance : un enjeu d'avenir

par Soline Amir-Tahmasseb  

  L’éducation ne commence pas sur les bancs de l’école ! Le jeune enfant – avant son entrée en maternelle – doit bénéficier d’actions pédagogiques qui participent à son éveil et s’ajustent selon son âge et son stade de développement. En effet, “apprendre à apprendre commence tôt, et les 1000 premiers jours sont cruciaux pour le développement optimal des êtres humains !1.

   À l’école, éducation rime avec programme et pédagogie. Avant, programmes et éducation font deux. Est-ce à dire qu’un professionnel de la petite enfance n’a pas besoin de programmer quelque chose ? Que chacun – enfant et éducateur – est libre de faire ce qu’il veut ? Bien sûr que non ! Accueillir un enfant au quotidien et participer à son développement requiert des connaissances spécifiques et pointues. L’éducateur de jeune enfant doit savoir quels sont les besoins des enfants qu’il accompagne et comment y répondre. Si chaque enfant évolue à un rythme qui lui est propre, la science nous apporte des notions et des repères que le professionnel doit connaître pour répondre au mieux aux besoins de l’enfant et s’ajuster à la singularité de chaque enfant. Et ces connaissances ne tombent pas du ciel ! La formation est indispensable !

 Pas de formation sans revalorisation !

   Bien avant la question de la formation, se pose la question de la place du professionnel de la petite enfance. Sa place dans la société, son rôle dans la construction de celle de demain, sa propre perception influencent inévitablement la conception de son métier et de son action. Or, aujourd’hui encore, le professionnel de la petite enfance est trop souvent perçu comme un « simple » pourvoyeur de soins. Cantonné à un rôle sanitaire, sa nécessité de formation pédagogique semble moindre. Il aurait comme fonction essentielle de veiller aux soins primaires. Une formation solide en sciences du développement ne serait pas nécessaire.

  « Amusez-vous bien ! » – Cette phrase prononcée par bon nombre de parents aux professionnels en leur laissant leur enfant le matin, comme si accueillir des jeunes enfants n’était que jeu et que derrière il n’y avait pas de réflexion, de stratégie pédagogique adaptée aux différents stades de développement de l’enfant. Pas besoin de formation, pour « faire du baby-sitting ». La petite enfance reste étroitement liée à une supervision médicale et sécuritaire, spécifiquement dans le cadre de l’accueil collectif du jeune enfant. Et les récentes décisions politiques et législatives participent, indéniablement, à cette déqualification des professionnels de la petite enfance et à la dévalorisation de leur utilité sociale :

  • Le décret de juillet 2022 vise «à ouvrir plus largement les emplois de professionnels autorisés à exercer dans les EAJE à des personnels non diplômés ou non titulaires d’un CAP» ;
  • Le décret du 9 juin 2010 qui «fait passer de 50 % à 40 % la part minimale de personnels diplômés de catégorie I au sein des effectifs” ;
  • La réforme Norma qui a supprimé « l’exigence selon laquelle les personnels diplômés et les titulaires d’un CAP devaient représenter 75 % des effectifs totaux »;

Ces évolutions réglementaires viennent altérer plus encore les conditions de travail des professionnels et reléguer leur profession à un rang moindre.

“Pourtant, dès les années 50, la recherche en psychologie du développement met en avant les phénomènes de carences affectives et troubles associés à un manque de contact chez le nourrisson. Aujourd’hui on sait qu’un tout-petit n’est pas qu’un corps en maturation qu’il s’agit de préserver et entretenir2. Et les professionnels de la petite enfance ont un rôle primordial à jouer. Afin d’explorer le monde qui l’entoure et se développer optimalement, un adulte référent stable et attentif est un “phare” répondant à ses besoins vitaux et l’aidant à se développer psycho-socialement. Le développement précoce est éminemment dépendant de l’adulte et des expériences que celui-ci rend accessibles”. 

Ensemble pour la Petite Enfance, 20233

  Les professionnels ont donc une mission fondamentale : accompagner le développement global de l’enfant pour permettre à l’adulte qu’il deviendra d’atteindre son plein potentiel ! Il construit la société de demain. Quand on sait l’importance de la fenêtre de développement que comprennent les 1000 premiers jours, on comprend à quel point leur rôle est fondamental. C’est en adoptant cette vision que tout un chacun pourra prendre conscience de l’importance du rôle et de la mission du professionnel de la petite enfance. A commencer par lui-même ! Les professionnels de la petite enfance ne sont pas des « nounous » ! Au contraire, ils sont des façonneurs des adultes et du monde de demain.

 La science au cœur des formations, un gage de qualité éducative

   Accompagner le jeune enfant dans son développement, ça ne s’invente pas !

  Un professionnel de la petite enfance a choisi de s’engager pour œuvrer au quotidien à participer au développement du jeune enfant et de l’adulte qu’il deviendra. Pour lui permettre d’accomplir une telle mission dans les meilleures conditions, les connaissances scientifiques sur le développement global du jeune enfant et ses besoins doivent être au cœur des programmes de formations4 initiales et continues. “Une association plus systématique des laboratoires de recherche spécialisés dans la petite enfance aux instituts de formation” est indispensable pour unifier les connaissances et remettre l’enfant et ses besoins au cœur des pédagogies et des apprentissages des professionnels. Ces formations actualisées et basées sur les recherches scientifiques, indispensables pour parler un langage commun, doivent être systématiques. Immaturité cérébrale, élagage synaptique, cortex préfrontal… ces mots barbares n’auront une résonance et ne pourront être des guides dans l’élaboration d’activités pédagogiques que si l’on suit une formation sur le sujet. Et, ce tout au long de sa carrière. Les découvertes scientifiques ne cessent de fleurir et la connaissance du jeune enfant évolue constamment. C’est ce qui rend le monde de la petite enfance si passionnant, tout en imposant un devoir : celui de se former en continu pour actualiser ses connaissances. 

 Une harmonisation indispensable des formations

   Aujourd’hui les qualifications sont trop inégales selon les corps de métiers. Le Rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) fait état du manque d’harmonisation criant des qualifications des professionnels. Il dénonce un « niveau global de qualification des professionnels [qui] tend à se dégrader par un mouvement d’aspiration vers le haut, à la faveur d’un assouplissement continu des exigences réglementaires5 ». Or, lorsque les formations divergent, la prise en compte des besoins de l’enfant et les pratiques divergent aussi, et c’est l’enfant qui en subit les conséquences. Ainsi, Cyril Laval, chef de service du Centre Départemental de l’Enfance et de la Famille note que « se référer à des fondamentaux théorique […] rassure dans [les] pratiques [et donc] l’enfant », et que « lorsqu’on est le seul [formé] […], il est difficile d’influer, d’apporter une nouvelle dynamique. Pour l’équipe cela peut générer des frustrations, des incompréhensions voire des clivages »6

 Investir dans la formation, la qualité au détriment de la quantité ?

   La formation des professionnels est donc fondamentale. Pourtant les choix politiques de ces dernières années dans le secteur de la petite enfance sont des choix en faveur de la quantité plutôt que de la qualité.

Renforcer la quantité de l’offre d’accueil est justifiée quand on sait que « le taux de couverture des modes d’accueil pour les enfants de moins de 3 ans s’élève à 60 %, selon les données de la Caisse d’allocations familiales – un chiffrage national qui masque de fortes inégalités territoriales »7. C’est ainsi que, par exemple, le 1er juin dernier, Madame la Première Ministre Elisabeth Borne a mis la création de nouvelles places d’accueil comme ambition majeure du futur service public de la petite enfance ; ou encore que s’est faite l’ouverture – non maîtrisée – au secteur privé lucratif. Le nombre de places à créer pour faciliter l’emploi des parents – bien qu’ambition légitime notamment quand on  – ne doit pas effacer les besoins en termes de qualité pour accompagner le développement des jeunes enfants. D’autant que « À défaut d’une telle amélioration de la qualité de l’accueil des enfants et de l’attractivité des métiers, la pénurie actuelle de professionnels s’accentuera, rendant inopérante toute création de places nouvelles »8.

En effet, un professionnel formé sera plus confiant, saura faire face aux imprévus, sera fier de son métier. En outre, investir dans la formation, revalorise la place du professionnel de la petite enfance au sein de la société. Les professionnels, les parents et les enfants seront donc plus sécurisés.

En conséquence, les professionnels formés risquent moins de se désengager et les chances de susciter des vocations augmenteront. Ainsi, « Dans l’état actuel du secteur, l’accroissement quantitatif de l’offre est un objectif – pour légitime qu’il soit au regard des besoins des familles – conditionné à une consolidation et une montée en qualité significative de l’existant »9.

 

 

Alors qu’un Service Public de la Petite Enfance pointe le bout de son nez, ne manquons pas l’opportunité de mettre, enfin, le développement global et harmonieux de l’enfant et la valorisation des professionnels de la petite enfance au cœur des décisions et des objectifs des politiques nationales !

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1 P.Agator, S.Amir-Tahmasseb, M.Charpentier, “Les 1000 premiers jours : une fenêtre d’opportunités pour tous”, 2023, Peuvent-ils encore sauver le monde ? in Innovation en éducation n°15 

2 Ibidem.

3 Ibidem.

4 Rapport “Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches » de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), 2023, disponible ici

5 Ibidem. 

6 Troubles du Comportement, Revisiter les pratiques à l’aune de l’attachement, Le Bulletin de la Protection de l’Enfance, numérion 128-131, printemps 2022 (p. 15-23).

7 Article Le Monde ici 

Rapport “Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches » de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), disponible ici   

9 Ibidem.

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